I voli pindarici

© Boyan Drenec

I voli pindarici, le numéro zéro du journal photographique Les éclaireurs vient de sortir. Il est disponible au Café Bretelles de la Krutenau et à la vidéothèque Les Petites Fugues.  Ces 48 pages photocopiées en noir & blanc (en vente 4 eu.) sont — touchons les doigts — les premières d’une longue série. La couverture en impression numérique satinée ne satisfera probablement pas les goûts de luxe des plus radicalement snobs d’entre nous, mais l’édition limitée à 100 exemplaires fera peut-être l’affaire.

« I voli pindarici » est une expression italienne qui signifie des associations d’idées incongrues ou farfelues. L’équivalent approximatif de « passer du coq-à-l’âne ».

À commander sur la page contact où à trouver sur un des points de vente à Strasbourg.
— Café Bretelles Krutenau / 57, rue de Zurich 67000 Strasbourg
— Vidéothèque Les Petites Fugues / 25, rue de la Krutenau 67000 Strasbourg

Petit boulot

Les employés de caisse, les avocats, les médecins, les programmeurs, les taxis, etc. sont voués à voir leur nombre diminuer, du fait de l’automatisation et des délocalisations. Mais on ne remplacera pas aussi facilement les sous-smicards qui se glissent chaque matin dans un costume de Mickey — ou de yéti Pictoplasma, si on veut faire moins has been. Les vrais gens apportent une note de chaleur à ces déguisements vides, que la machine a un peu de mal à simuler.

Si je me sentais d’humeur cynique, je me laisserais peut-être même aller à dire qu’on arriverait, à grand renfort de coûteuses campagnes de neuro-marketing, à leur faire penser que ce petit boulot est cool. C’est dingue, non ?

Vivement mon café du matin.

Street photography now

Il faut rester longtemps dans un endroit pour commencer à le comprendre.

George Georgiou

Sophie Howarth & Stephen McLaren / STREET PHOTOGRAPHY NOW p. 44

Ne me demandez pas ce qu’il mange, je n’ai pas réussi à déchiffrer le titre du livre que ce monsieur tient entre ses dents (je suis pourtant resté longtemps dessus). Il me semble lire le mot « friday » sur la deuxième ligne du titre.

Baptême de neige

Il neigeait ce dimanche matin. Du coup je suis sorti, et je n’ai pas trouvé tant de photos que ça. Par contre j’ai exposé mon appareil à l’épreuve redoutée des flocons de neige (trémolo). Pour autant que j’en puisse juger, il s’en est bien sorti : il n’y avait, notamment, pas d’eau infiltrée par la bague de l’objectif — la partie vulnérable de l’ensemble.

Lin Fengmian

Contrairement à ce que me suggérait mon intuition, je suis allé voir ce matin, parce que je suis passé devant la porte d’entrée, une exposition à la Chaufferie d’un artiste chinois.

Pourquoi n’avais-pas envie d’y aller ? Parce que j’imaginais un artiste contemporain, donc qui ne met pas la main à la pâte et qui se contente de déployer ses efforts à faire grimper sa côte sur le marché de l’art.

Bref, pas de l’art.

J’aurais pu croire à un calligraphe ou à un peintre plus traditionnel, vu les coups de pinceaux d’encre noire repris sur l’affiche. Mais dans ma tête, le Ministère de l’Interprétation et de la Mauvaise Foi en avait décidé autrement.

Alors, au final au bout du compte, qu’en est-il ?

Première surprise, la variété des styles picturaux. Seule ma naïveté avait pu me laisser croire au premier abord qu’elles étaient toutes de Lin Fengmian. En réalité, elles représentaient toutes le même personnage à chaque âge et bien sûr dans divers contextes : quelle évidence, c’est le Lin Fengmian en question. Comme il s’avère que ce n’est pas un personnage de fiction, il en découle que ces scènes qui font penser à des couvertures de Tintin (dixit le Ministère que vous connaissez), décrivent des étapes importantes dans la vie de l’artiste qui se révèlera être, m’apprend le gardien des lieux, le fondateur de l’Académie des Arts de Chine. Rien que ça !

L’hommage a quelque chose de conceptuellement naïf qui, vu le contexte, est une grande qualité. Au lieu de confire le personnage, ça nous le rapproche.

D’un point de vue artistique, le premier tableau est de loin celui que j’ai préféré : un dessin au trait et lavis de Wu Ganhua.

La repro ne rend pas justice à la justesse du trait, mais bon… imaginez ce dessin en 2,40 mètres de haut.

Bref, le coup de bol de la journée.

ps/ (Et honte à tous ceux qui ont pensé « le coup de bol de riz de la journée »).

Oralité

Spontanément réveillé à 4h30 du matin et impuissant à me rendormir, j’écoute la conférence sur l’Oralité, de Michel Onfray.

J’y entends une stimulante cascade de réflexions passionnantes sur la valeur d’une parole ou sa démonétisation, la radio, la télévision, l’éducation au langage, à l’écrit, l’héritage parental, la construction d’un propos, et probablement bien d’autres choses que je n’imagine qu’à peine— je n’ai écouté que deux parties sur trois.

Il n’oublie pas d’évoquer la décadence de notre civilisation, thème qu’il a développé dans un récente trilogie d’essais.

Qu’est-ce que j’en retiens ? Quelle en est la substantifique moelle ?

Pêle-mêle, je dirais : la nocivité de la télévision, la nécessité absolue de réapprendre à s’exprimer avec clarté, précision et surtout, vérité. Vérité dans le sens que quand on dit une chose, on la pense et on la fait.

Peut-être est-ce là que réside la valeur de l’honnêteté ?

Michel Onfray — ORALITÉ, CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE, 3cd

Le cœur

Les grands maîtres de l’Orient comme de l’Occident n’ont jamais négligé l’importance de la suggestion pour mettre le spectateur en confiance. Qui peut contempler un chef-d’œuvre sans être épouvanté de l’immensité de pensée qu’il offre à nos regards ? Il n’est pas de chefs-d’œuvre qui ne soient familiers et sympathiques. Combien sont froides, au contraire, les productions courantes de l’heure actuelle ! Ici, l’épanchement chaleureux d’un cœur d’homme ; là, rien de plus qu’un geste formaliste. Esclaves de la technique, les modernes s’élèvent rarement au-dessus d’eux-mêmes. […] Il se peut que leurs œuvres soient plus proches de la science ; elles sont sûrement plus éloignées de l’humanité. Il existe un vieux dicton japonais d’après lequel une femme ne peut aimer un homme vraiment vaniteux, car il n’y a pas dans son cœur de fissure par où l’amour puisse pénétrer et le remplir.

Okakura Kakuzo — LE LIVRE DU THÉ, p. 89

Rikiu était en train de regarder son fils Shoan qui balayait et arrosait l’allée à travers le jardin. « Pas encore assez propre », dit Rikiu, quand Shoan eut fini sa tâche, et il lui ordonna de la recommencer. Après une heure de travail, le jeune homme se tourna vers Rikiu : « Père, dit-il, il n’y a plus rien à faire. J’ai lavé trois fois les marches, j’ai versé de l’eau sur les lanternes de pierre et sur les arbres ; la mousse et les lichens brillent d’un vert tout frais ; et je n’ai pas laissé sur le sol une brindille ou une feuille. » — « Jeune fou, gronda le maître de thé, ce n’est pas ainsi qu’une allée doit être balayée. » Et, disant ces mots, Rikiu descendit dans le jardin, secoua un arbre et répandit partout des feuilles d’or et de pourpre, bribes du manteau de brocart de l’automne  ! Ce que Rikiu exigeait, ce n’était pas seulement la propreté, mais encore de la beauté et du naturel.

Okakura Kakuzo — LE LIVRE DU THÉ p. 73

Obscénité

L’obscénité, elle est dans les rapports quotidiens, elle est dans le formatage, l’artificiel ; elle est dans le confort de ne pas exister, de ne pas parler, mais de consommer. Montrer des corps qui s’évertuent à exister, même si c’est c’est par le sexe, la drogue, ou le crime (je pense aux enfants soldats), je ne trouve pas ça pornographique. L’obscénité est dans le fait d’être complice et d’être partie prenante d’un système qui exclut, qui écrase, qui gère l’utilité et la non-utilité de certains humains.

Antoine d’Agata (via Télérama)

Le décalage de sens qu’applique Antoine d’Agata au mot obscénité, on pourrait facilement l’étendre à pornographie, qui ne serait pas celle des bites, vagins, seins, culs, etc. communément admise, mais celle du consumérisme : pornographie des biens de consommation, de l’accaparement de la libido des gens par l’occupation neuro-marketée de circuits subconscients et inconscients.

D’ailleurs, en relisant, je m’aperçois qu’il utilise les deux mots. Autant pour moi.

Ailleurs dans l’entretien, d’Agata assimile le mot nihilisme à sa démarche auto-destructrice. Pour moi, il utilise ce mot à l’envers. L’essence de sa démarche étant, comme il l’explique lui-même, un élan pour trouver une vérité à sa vie, il s’agit plutôt de l’exact contraire du nihilisme. L’obscénité consumériste qu’il décrit, est par contre une bonne définition du vrai nihilisme, je trouve.

— Tu veux un petit verre d’eau sale ?

Café Bretelles

Topologie

J’ai un appareil photo argentique depuis un peu plus d’un mois et je donne mes pellicules à développer à Photoboutik, au bout de l’avenue des Vosges.

Les deux ou trois fois où je m’y étais rendu, j’étais parti de chez moi et le parcours m’avait semblé être l’évidence même (j’en vois un qui rigole). Le trajet était long — une petite demi-heure — et j’étais allé jusqu’à prendre mon vélo une fois, c’est dire !

Aujourd’hui j’y ai apporté un lot de dix pellicules prises à Venise (en cinq jours — pour ceux qui aiment les statistiques). Comme j’étais place Kléber, j’ai consulté le plan sur mon téléphone, pour voir le trajet le plus court. Je suis tombé de haut.

Il se trouve que cette boutique est à environ 300 mètres derrière chez mon oncle ! Autant dire à peine plus loin que la Cathédrale, de chez moi. Je parcourais sans le savoir les deux côtés d’un triangle grossièrement équilatéral, au lieu du troisième côté.

Bref, j’habite le quartier depuis trente-trois ans et je doublais la distance.