Oralité

Spontanément réveillé à 4h30 du matin et impuissant à me rendormir, j’écoute la conférence sur l’Oralité, de Michel Onfray.

J’y entends une stimulante cascade de réflexions passionnantes sur la valeur d’une parole ou sa démonétisation, la radio, la télévision, l’éducation au langage, à l’écrit, l’héritage parental, la construction d’un propos, et probablement bien d’autres choses que je n’imagine qu’à peine— je n’ai écouté que deux parties sur trois.

Il n’oublie pas d’évoquer la décadence de notre civilisation, thème qu’il a développé dans un récente trilogie d’essais.

Qu’est-ce que j’en retiens ? Quelle en est la substantifique moelle ?

Pêle-mêle, je dirais : la nocivité de la télévision, la nécessité absolue de réapprendre à s’exprimer avec clarté, précision et surtout, vérité. Vérité dans le sens que quand on dit une chose, on la pense et on la fait.

Peut-être est-ce là que réside la valeur de l’honnêteté ?

Michel Onfray — ORALITÉ, CONFÉRENCE PHILOSOPHIQUE, 3cd

Le cœur

Les grands maîtres de l’Orient comme de l’Occident n’ont jamais négligé l’importance de la suggestion pour mettre le spectateur en confiance. Qui peut contempler un chef-d’œuvre sans être épouvanté de l’immensité de pensée qu’il offre à nos regards ? Il n’est pas de chefs-d’œuvre qui ne soient familiers et sympathiques. Combien sont froides, au contraire, les productions courantes de l’heure actuelle ! Ici, l’épanchement chaleureux d’un cœur d’homme ; là, rien de plus qu’un geste formaliste. Esclaves de la technique, les modernes s’élèvent rarement au-dessus d’eux-mêmes. […] Il se peut que leurs œuvres soient plus proches de la science ; elles sont sûrement plus éloignées de l’humanité. Il existe un vieux dicton japonais d’après lequel une femme ne peut aimer un homme vraiment vaniteux, car il n’y a pas dans son cœur de fissure par où l’amour puisse pénétrer et le remplir.

Okakura Kakuzo — LE LIVRE DU THÉ, p. 89

Rikiu était en train de regarder son fils Shoan qui balayait et arrosait l’allée à travers le jardin. « Pas encore assez propre », dit Rikiu, quand Shoan eut fini sa tâche, et il lui ordonna de la recommencer. Après une heure de travail, le jeune homme se tourna vers Rikiu : « Père, dit-il, il n’y a plus rien à faire. J’ai lavé trois fois les marches, j’ai versé de l’eau sur les lanternes de pierre et sur les arbres ; la mousse et les lichens brillent d’un vert tout frais ; et je n’ai pas laissé sur le sol une brindille ou une feuille. » — « Jeune fou, gronda le maître de thé, ce n’est pas ainsi qu’une allée doit être balayée. » Et, disant ces mots, Rikiu descendit dans le jardin, secoua un arbre et répandit partout des feuilles d’or et de pourpre, bribes du manteau de brocart de l’automne  ! Ce que Rikiu exigeait, ce n’était pas seulement la propreté, mais encore de la beauté et du naturel.

Okakura Kakuzo — LE LIVRE DU THÉ p. 73

Obscénité

L’obscénité, elle est dans les rapports quotidiens, elle est dans le formatage, l’artificiel ; elle est dans le confort de ne pas exister, de ne pas parler, mais de consommer. Montrer des corps qui s’évertuent à exister, même si c’est c’est par le sexe, la drogue, ou le crime (je pense aux enfants soldats), je ne trouve pas ça pornographique. L’obscénité est dans le fait d’être complice et d’être partie prenante d’un système qui exclut, qui écrase, qui gère l’utilité et la non-utilité de certains humains.

Antoine d’Agata (via Télérama)

Le décalage de sens qu’applique Antoine d’Agata au mot obscénité, on pourrait facilement l’étendre à pornographie, qui ne serait pas celle des bites, vagins, seins, culs, etc. communément admise, mais celle du consumérisme : pornographie des biens de consommation, de l’accaparement de la libido des gens par l’occupation neuro-marketée de circuits subconscients et inconscients.

D’ailleurs, en relisant, je m’aperçois qu’il utilise les deux mots. Autant pour moi.

Ailleurs dans l’entretien, d’Agata assimile le mot nihilisme à sa démarche auto-destructrice. Pour moi, il utilise ce mot à l’envers. L’essence de sa démarche étant, comme il l’explique lui-même, un élan pour trouver une vérité à sa vie, il s’agit plutôt de l’exact contraire du nihilisme. L’obscénité consumériste qu’il décrit, est par contre une bonne définition du vrai nihilisme, je trouve.

— Tu veux un petit verre d’eau sale ?

Café Bretelles

Topologie

J’ai un appareil photo argentique depuis un peu plus d’un mois et je donne mes pellicules à développer à Photoboutik, au bout de l’avenue des Vosges.

Les deux ou trois fois où je m’y étais rendu, j’étais parti de chez moi et le parcours m’avait semblé être l’évidence même (j’en vois un qui rigole). Le trajet était long — une petite demi-heure — et j’étais allé jusqu’à prendre mon vélo une fois, c’est dire !

Aujourd’hui j’y ai apporté un lot de dix pellicules prises à Venise (en cinq jours — pour ceux qui aiment les statistiques). Comme j’étais place Kléber, j’ai consulté le plan sur mon téléphone, pour voir le trajet le plus court. Je suis tombé de haut.

Il se trouve que cette boutique est à environ 300 mètres derrière chez mon oncle ! Autant dire à peine plus loin que la Cathédrale, de chez moi. Je parcourais sans le savoir les deux côtés d’un triangle grossièrement équilatéral, au lieu du troisième côté.

Bref, j’habite le quartier depuis trente-trois ans et je doublais la distance.

Atome de consolation

Gros choc hier. Mon M3 a heurté le sol en marbre d’une boutique, la semelle est fêlée et j’ai quelques de sérieux doutes quant au télémètre. L’objectif ? Je croise les doigts, par paquets de trois.

Levé à 3 heures, je suis allé finir la pellicule, en espérant que ça donnera quelque chose. Une pellicule 1 600 ASA couleur, périmée depuis 3 ans, poussée à 3 200… Il ne manquait plus que de l’exposer à la lumière… ça va forcément être intéressant, non ?

Je me console avec un café et un cornetto alla crema.

Conegliano

Un classique des couchettes dans le train : on oscille entre le glacial et le surchauffé. J’ai vu dans un demi-sommeil des paysages nocturnes exotiques, de la neige, de la brume.

J’ai aussi rêvé que je descendais du train en pleine nuit et qu’il repartait sans moi — j’étais en pyjama et il faisait froid. Et puis non, en fait j’étais toujours à cheval entre demi-sommeil et demi-éveil. La routine, quoi.

Et le matin arrive, il fait beau et on est en Italie, moi et mes cinq compagnons-ronfleurs d’une nuit.

Vers Venise

C’est parti pour un voyage en train, de nuit, vers Venise et l’espoir de la trouver dans le brouillard. Espoir qui sera déçu, prétend une météo peu fiable.

Chi vivrà vedrà Venezia.

Poesia sìn fìn

J’ai vu le film Poesia sìn fin, d’Alexandro Jodorowski hier soir. On ne ressort pas indemne de cette œuvre d’art cathartique, de cette thérapie baroque, de cette chose réelle qui se travestit en œuvre d’art et puis l’inverse est vrai.

Les bonus sur le dvd valent le détour : un entretien de 25 minutes avec Jodorowski, un making-of subreptice à peu près aussi long, un peu de psycho-magie et quelques mouettes…

À recommander à tous ceux qui aimeraient émerger de l’hypnose homéostatique de — restons polis — « l’industrie culturelle » contemporaine. En tout cas j’ai été plongé dans une agitation existentielle douteuse.

Viva la poesia !

— J’ai un caca dans le nez.
— Hm… hé ben… on va l’enlever à la maison.

rue de l’Académie

Yamamoto Masao

© Yamamoto Masao

Découverte, par l’intermédiaire de Benoît, de Yamamoto Masao, photographe japonais né en 1957. Ses images, en noir et blanc, dégagent une force esthétique, un impact poétique rares. Il a photographié des animaux, des scènes de nature, une femme, des morceaux de bois… Ses compositions tendent souvent à l’abstraction. Que dire ? Évoquer une esthétique japonaise, un art du vide, le zen… bah ! Faites plutôt un tour sur son site web.

www.yamamotomasao.jp

Soshi se promenait un jour au bord d’une rivière avec un ami.
— Comme les poissons se plaisent dans l’eau ! s’écria Soshi.
Son ami lui dit :
— Vous n’êtes pas poisson ; comment savez-vous que les poissons se plaisent dans l’eau ?
— Vous n’êtes pas moi-même ! répliqua Soshi. Comment savez-vous que je ne sais pas que les poissons se plaisent dans l’eau ?

Okakura Kakuzo / LE LIVRE DU THÉ p. 57