Conegliano

Un classique des couchettes dans le train : on oscille entre le glacial et le surchauffé. J’ai vu dans un demi-sommeil des paysages nocturnes exotiques, de la neige, de la brume.

J’ai aussi rêvé que je descendais du train en pleine nuit et qu’il repartait sans moi — j’étais en pyjama et il faisait froid. Et puis non, en fait j’étais toujours à cheval entre demi-sommeil et demi-éveil. La routine, quoi.

Et le matin arrive, il fait beau et on est en Italie, moi et mes cinq compagnons-ronfleurs d’une nuit.

Vers Venise

C’est parti pour un voyage en train, de nuit, vers Venise et l’espoir de la trouver dans le brouillard. Espoir qui sera déçu, prétend une météo peu fiable.

Chi vivrà vedrà Venezia.

Poesia sìn fìn

J’ai vu le film Poesia sìn fin, d’Alexandro Jodorowski hier soir. On ne ressort pas indemne de cette œuvre d’art cathartique, de cette thérapie baroque, de cette chose réelle qui se travestit en œuvre d’art et puis l’inverse est vrai.

Les bonus sur le dvd valent le détour : un entretien de 25 minutes avec Jodorowski, un making-of subreptice à peu près aussi long, un peu de psycho-magie et quelques mouettes…

À recommander à tous ceux qui aimeraient émerger de l’hypnose homéostatique de — restons polis — « l’industrie culturelle » contemporaine. En tout cas j’ai été plongé dans une agitation existentielle douteuse.

Viva la poesia !

— J’ai un caca dans le nez.
— Hm… hé ben… on va l’enlever à la maison.

rue de l’Académie

Yamamoto Masao

© Yamamoto Masao

Découverte, par l’intermédiaire de Benoît, de Yamamoto Masao, photographe japonais né en 1957. Ses images, en noir et blanc, dégagent une force esthétique, un impact poétique rares. Il a photographié des animaux, des scènes de nature, une femme, des morceaux de bois… Ses compositions tendent souvent à l’abstraction. Que dire ? Évoquer une esthétique japonaise, un art du vide, le zen… bah ! Faites plutôt un tour sur son site web.

www.yamamotomasao.jp

Soshi se promenait un jour au bord d’une rivière avec un ami.
— Comme les poissons se plaisent dans l’eau ! s’écria Soshi.
Son ami lui dit :
— Vous n’êtes pas poisson ; comment savez-vous que les poissons se plaisent dans l’eau ?
— Vous n’êtes pas moi-même ! répliqua Soshi. Comment savez-vous que je ne sais pas que les poissons se plaisent dans l’eau ?

Okakura Kakuzo / LE LIVRE DU THÉ p. 57

Charles Lamb, adepte déclaré du thé, a donné la vraie définition du théisme en écrivant que le plus grand plaisir qu’il connût était de faire une bonne action à la dérobée et de s’en apercevoir par hasard.

Okakura Kakuzo / LE LIVRE DU THÉ p. 21

Il inspire à ses fidèles la pureté et l’harmonie, le mystère de la charité mutuelle, le sens du romantisme de l’ordre social. Il est essentiellement le culte de l’Imparfait, puisqu’il est un effort pour accomplir quelque chose de possible dans cette chose impossible que nous savons être la vie.

Okakura Kakuzo / LE LIVRE DU THÉ p. 9

Walter Benjamin - Petite histoire de la photographie

L’appareil photographique devient toujours plus petit, toujours plus prompt à capturer des images fugaces et dissimulées, dont le choc immobilise chez le spectateur les mécanismes d’association. Ici doit intervenir la légende, qui annexe la photographie à la littérarisation de l’ensemble des conditions de vie, et sans laquelle toute construction photographique demeurerait prostrée dans l’à-peu-près.

[…]

La légende ne deviendra-t-elle pas l’élément le plus essentiel de la prise de vue ?

Walter Benjamin / PETITE HISTOIRE DE LA PHOTOGRAPHIE p. 57

C’est un axiome de la science politique aux ÉtatsUnis, que le seul moyen de neutraliser les effets des journaux est d’en multiplier le nombre.

Alexis de Tocqueville / DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE, 1848
(via De Defensa)

Autorité

Gare de Colmar, je suis en bout de quai A et je prends quelques photos, m’aventurant sur un bout de voie ferrée en friche et en cul-de-sac. Je m’y autorise avec un léger sentiment d’interdit, mais la situation à l’écart, la fin d’après-midi champêtre dédramatisent à tel point l’atmosphère que je n’y pense pas plus que ça.

Après avoir pris quelques photos, je reviens vers le milieu du quai, le train pour Strasbourg ne va plus tarder. Un contrôleur se dirige vers moi et je sens venir la réprimande, etc. Je me prépare mentalement à m’obliger à ne pas réagir de manière primaire, et je vaque à mon vagabondage en continuant à dériver vers lui.

Je l’avais imaginé plus incisif mais il tente l’agressivité retenue : il me demande avec un courroux rentré si j’ai l’autorisation d’être là.
Tout en reconnaissant vaguement, solaire et détendu, que c’est interdit, je réplique par un vague geste de la main et un akoibon : je minimise l’incident en lui faisant valoir un possible excès de rigidité dans l’application du règlement.
Il contre-attaque : la dangerosité extrême du lieu.
Oui mais cul-de-sac, dis-je, vitesse très faible, voire arrêt ! Danger ? Hmm… difficile.
Ah ! Mais câbles de 25 000 Volts, Monsieur !
Nous serions en danger sur les quais mêmes ?
Non, bien sûr, car le câble tombe verticalement (il n’est pas déplacé par le vent, ni ne se tord sous l’effet de voltages insensés), etc.

Et puis il ne faut pas donner le mauvais exemple, point.

Je pourrais, n’importe qui pourrait produire d’excellentes photographies avec un matériel assez pauvre et bon marché. Il y a un danger, en fait, à disposer d’un matériel à mille dollars. On en tombe amoureux, cela devient compliqué d’une autre façon. Je veux que tout ça reste le plus simple possible. En photographie, on atteint un point où le matériel est un peu comme votre voiture. Vous apprenez si bien à utiliser la chose qu’elle peut s’intégrer à vous en une action automatique réflexe — vous pouvez penser à autre chose en l’utilisant.

Walker Evans / LE SECRET DE LA PHOTOGRAPHIE – Entretien avec Leslie Katz p. 36

Première fois

Ma première pellicule : Kodak 200 couleur ! J’ai respecté la tradition : j’ai fait 36 photos avec un film mal engagé.

J’ai grogné et remis la satanée pelloche avec plus de soin. Après vingt-et-un clichés seulement, mais torturé par l’incertitude, j’ai fini par ouvrir le boîtier, pour vérifier. Pas la peine de faire un dessin : la pellicule était parfaitement engagée.

Bref, le bonheur !

Je fabrique les Essais et les Essais me fabriquent.

Michel de Montaigne (via Michel Onfray)

À Arles

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Une de mes meilleures idées cette année a probablement été de suivre un stage de photographie avec Philippe Guionie à Arles, cet été. J’ai découvert une ville animée, ancienne, pleine de photos collées aux murs, d’expositions et de manière générale, de gens avec des appareils photo au cou. Bref, une ville qui respire au rythme de la photo. Tout ça collait bien à la place grandissante que prend pour moi cette discipline obscure et lumineuse.

Dans ce portfolio de 5 images, j’ai mis des photos en noir et blanc. Quasiment les premières pour moi. Je n’ai jamais été intéressé que par la couleur jusqu’à très récemment. Je pourrais également ajouter que je n’ai également jamais été intéressé que par le numérique — jusqu’à… avant-hier.

Mais ceci est une autre histoire.

Magnum analog recovery

J’en ai assez. Partir à la chasse aux histoires a laissé des séquelles en moi, non pas sur mon corps mais dans mon esprit. Travailler comme ça ne me procure plus la joie de mes débuts, tout est assombri par la poursuite d’un but éditorial, le gain attendu, les arrangements avec la réalité pour rendre un sujet intéressant. Je me contrefiche de cette presse à sensations. Je refuse de faire ce qu’on trouve dans des milliers de publications dans le monde entier. Des frissons de bas étage ou une histoire stupide qui n’ont aucun intérêt et feraient mieux de rester ignorés. Je réalise que ce genre de travail demande de gros efforts, et que je ne suis tout simplement pas ce type de journaliste de presse. Je n’ai aucun pouvoir face aux grands titres de presse, ce n’est plus possible, je prostitue mon travail et ça suffit. Au plus profond de moi, je reste et je resterai toujours un artiste.

Magnum analog recovery (collectif) / Werner Bischoff