L’école allemande

« Bien qu’italien d’origine, il appartenait à une école d’alpinisme que l’on pourrait — grosso modo — appeler l’ « école allemande ». On pourrait ainsi résumer la méthode de cette école : on attaque la face la plus abrupte de la montagne par le couloir le plus pourri et le plus mitraillé par les chutes de pierres, et l’on monte vers le sommet tout droit, sans se permettre de chercher des détours plus commodes à gauche ou à droite; en général, on se fait tuer, mais, un jour ou l’autre, une cordée nationale arrive vivante à la cime. »

René Daumal, Le Mont Analogue, p.77

Chers lecteurs

Chers lecteurs d’OMBRE,

Permettez-moi de me présenter. Je m’appelle Saga et je suis un scientifique du comportement. Au cours des quinze dernières années, j’ai été chercheur principal dans le cadre d’une étude conjointe suédo-canado-française sur la genèse de l’influence d’Internet et de son impact sur la société moderne.

Plus précisément, mes collègues de Stockholm, de Vancouver et de Strasbourg ont analysé et répertorié les traits de personnalité et les tactiques de persuasion qui exercent la plus grande influence sociale et la mesure dans laquelle un seul individu peut guider les pensées, les croyances, les mœurs et le comportement de toute une communauté. Une partie importante de cette étude a consisté à concevoir et à développer de nombreux sites Web, chacun « hébergé » par une personnalité soigneusement élaborée, mais totalement artificielle.

C’est étrange de me présenter à vous alors que c’est moi qui écris ce site depuis une décennie. J’ai l’impression de bien vous connaître tous, même si vous ne me connaissez pas. Comme vous l’imaginez probablement à l’heure actuelle, OMBRE est l’un des centaines de sites minutieusement conçus pour isoler et expérimenter de nombreuses personnalités artificielles et techniques de communication.

Il s’agissait en particulier d’un des deux blogs conçus autour du thème de la photographie. Notre objectif était de voir quel type d’individu pouvait exercer la plus grande influence sur le vocabulaire photographique du monde. Le site A (OMBRE) a été construit autour d’une personnalité construite qui croyait que la photographie concernait l’image. Le site B (identité non divulguée) a introduit une personnalité dont le personnage était persuadé que la photographie concernait l’appareil photo. Afin d’empêcher que les photographies de chaque site n’exercent une influence réelle sur l’opinion publique, nous avons décidé que les deux devaient comporter les pires photos possibles. Nous pourrions ainsi mesurer l’influence de la méthode et non celle des photos elles-mêmes.

Pour OMBRE, nous avons choisi de créer des photos floues et peu fidèles en couleur d’anecdotique aléatoire. Étant donné que personne sur le personnel ne pouvait prendre des photos suffisamment graves pour satisfaire le dictat, nous avons sauvé un adorable mélange Chihuahua / Irish Wolfhound de la fourrière, attaché un appareil photo à sa poitrine et l’avons monté pour tirer un coup chaque fois que l’animal s’arrêtait rayure. Pour le site B, nous avons choisi de nous concentrer sur les photos de chat et le HDR. Initialement, les photos du chat ont été prises par la fille d’un associé. Mais lorsqu’elle a atteint l’âge de six ans, elle a commencé à développer un goût visuel. Les tâches ont donc été transférées à ma propre nièce âgée de deux ans. Les photos HDR ont toutes été prises par mon ex-mari et sont le résultat d’une campagne bien orchestrée de « faux », dans laquelle moi-même et d’autres chercheurs avons continuellement aimé, loué, et l’avons ainsi encouragé à trop aiguiser, trop saturer et surcompresser ses images au point de ridicule.

Comme tous ceux qui ont une connexion Internet l’ont sûrement constaté, l’approche du site B consistant à « photographier, c’est de la caméra » a été extrêmement efficace pour établir une influence et est désormais la principale raison pour laquelle la photo de chat et le HDR restent les deux genres de « beaux-arts » les plus appréciés photos sur le net. Le message « La photographie, c’est à propos de l’image » de OMBRE n’a aucune influence, et ses petites taches granuleuses et obscures sont universellement méprisées par les félins qui favorisent les patriciens du nouvel empire photographique centré sur l’appareil photo.

L’étude étant maintenant terminée, Roscöhe (notre mélange Chihuahua / Irish Wolfhound) s’est semi-retiré de la photographie et profite de la vie comme mon compagnon fidèle et enjoué. Il me tient compagnie depuis que j’ai divorcé de mon mari, qui s’était tristement transformé en un ennui insupportablement arrogant après avoir cru que l’adulation générée par un robot pesait sur ses photos qui déchiraient le plus la rétine.

En dépit de son manque d’influence et de son lectorat minuscule, j’admettrai de développer un point faible pour l’ultra morceau de notre expérience. Chaque mois, je me suis dit que j’étais impatient d’organiser les clichés aléatoires de Roscöhe et de modérer les commentaires spirituels envoyés par les lecteurs. Alors que tous les autres sites de notre étude attiraient une abondance de négativité, d’intimidation et d’ignorance, les lecteurs de OMBRE restaient toujours respectueux, intelligents, drôles et intelligents.

J’ai donc décidé de continuer à publier OMBRE, même si l’étude est terminée et le subterfuge révélé. Bien que la divulgation de la vérité puisse convaincre certains d’entre vous de se désabonner, le scientifique spécialiste du comportement en moi sait que la plupart d’entre vous continueront à croire le mythe OMBRE — écrit par un strasbourgeois d’âge mûr condamné à une série de crises existentielles sérieuses, et qui erre autour de prendre des photos de métaphores afin d’éviter de faire face directement à aucune de ces crises.

Si mes études ne m’ont rien appris d’autre, c’est qu’Internet donne à chacun de nous le contrôle total de sa propre image publique. La société croit que nous sommes ce que nous sommes plutôt que ce que nous sommes vraiment. Et le fait que je sois une suédoise avec un chien qui grince des puces et qui fait des photos ne vous empêchera probablement pas de croire le mensonge que je propage au cours des dix dernières années. Ce qui est bon pour moi et pour l’avenir.

Verkligheten är inte verklig.
Med vänliga hälsningar,

Saga

ps/ Pour les desperados tenaces qui auront résisté jusqu’au bout à cette désolante traduction Google (agrémentée de modifications personnelles), il est recommandé de se référer à l’original, sur le site ULTRA something de Gregory Simpson.

La 4e GM

Je ne sais pas avec quelles armes sera menée la Troisième Guerre mondiale, mais je sais que la Quatrième le sera avec des bâtons et des pierres.

Albert Einstein

Le peintre d’éventail

Peindre un éventail, n’était-ce pas ramener sagement l’art à du vent ?

p. 29

— C’est là que je vis, répondit l’autre. Nous sommes deux moines et cinq chats sur l’îlot.

p. 33

Matabei savait maintenant que les vrais maîtres vivent et meurent ignorés et qu’on ne pouvait espérer plus belle équité en ce monde.

p. 35

Toujours appuyé sur le bâton d’Osaki, un pan de sa chemise contre sa tempe, il se dit qu’il lui serait plus facile de rencontrer un bouddha en enfer qu’un être humain dans ses parages — à moins de s’asseoir trois années sur une pierre.

p. 103

Il s’agissait maintenant de faire le mort, longtemps, longtemps, comme une roche irradiée au césium.

p. 116

— Pourquoi quitterais-je ce paradis ? Il ne me manque rien ici, je peux même me glorifier de la compagnie d’un singe, un macaque que j’ai soigné et qui revient me voir à l’insu de sa tribu.

p. 119

Hubert Haddad / LE PEINTRE D’ÉVENTAIL

Le flou

Un photographe qui n’a pas compris qu’il fallait avant tout simplifier ses vues et être capable d’en justifier le détail est artistiquement mort.

Henri Peyre
Flou du peintre, flou du photographe

La radicalité affichée de cette conclusion m’a fait sourire, mais le contenu de cet article offre un point de vue stimulant sur la relation entre le dessin et la photo, qui mérite cinq minutes de lecture.

Un Tesson de temps

Je rêve d’écrire un livre, que j’intitulerais « La perte du temps recherché ».

33:20

J’étais parti avec des idées noires, mais le nihilisme ne résiste pas à l’énergie d’un printemps au Baïkal.

37:20

Sylvain Tesson
SIX MOIS DE CABANE AU BAÏKAL

 

#citation

Des étoiles filantes déclenchaient un bruit assourdissant de bombardement, l’air devenait irrespirable, nous toussions en riant dans un brouillard bleuâtre et peu à peu, par l’effet d’une cendre fine, les cheveux de la jeune fille devenaient gris.

Robert Guillain / Les geishas p. 109

#citation

En définitive, le vieux Japon, par cette foule, apparaissait comme un pays de gens laids mais habillés de vêtements admirables.

Robert Guillain / Les geishas

#citation

Et lorsque vous regardez l’histoire des Gallois, les tentatives de nettoyage ethnique pour se débarasser de la culture galloise et de la langue galloise étaient si vives que pendant un temps, lorsque j’étais au Vietnam, j’ai vu qu’il se passait la même chose avec les Vietnamiens — leur culture, leurs origines, leurs croyances religieuses, etc. — était en train d’être éradiqué par les Américains qui souhaitaient faire d’eux les consommateurs d’une société capitaliste  moderne.

Magnum analog recovery (collectif) / Philip Jones Griffiths

#citation

Par ailleurs, quand je regarde Blade Runner, je songe à Shinjuku et, quand je suis à Shinjuku, j’ai comme la sensation soudaine de me trouver dans Blade Runner. […]. De même, la ville fictive de Gotham, cité du crime qui sert de décor au film Batman, ressemble à s’y méprendre au quartier de Kabuki-chō.

Daido Moriyama / Daido Tokyo

#citation

La photographie est la mémoire de la lumière, son fossile. Et la photographie est l’histoire de la mémoire.

Pour le moment, cette conclusion, même provisoire, me satisfait.

Daido Moriyama / Mémoires d’un chien p. 135

#citation

J’ai plutôt la sensation que toutes les cellules de mon corps bruissent, s’inclinent vers ces myriades de pétales enflammés. Je me sens étourdi, incapable de me concentrer et de conserver ma sérénité. Pendant toute cette période, la perception des fleurs de cerisier ocvupe un coin de mon cœur. Une image délirante de l’archipel m’obsède alors : les fleurs de cerisier se propagent, envahissent tout le Japon, telles des bactéries pathogènes. D’innombrables gens au visage inexpressif, sans yeux ni rien, se bousculent, grouillent sous ces arbres, et une sorte de folie passagère traverse le pays…

Daido Moriyama / Mémoires d’un chien p. 132

#citation

Je n’accepte aucune ségrégation, celle de l’âge pas plus que les autres. Il y a ceux qui sont vieux, leur vie durant. D’autres qui sont jeunes de cœur. Il y en a qui changent. Et puis il y a les photos qu’on fait comme on peut, quand on peut, où l’on peut.

Henri Cartier-Bresson

via Hervé Guibert / La photo, inéluctablement p. 391